Un coup d’arrêt pour le « Parti du peuple » Suisse ?

Par Bardin Aïna

 

Une mesure extrême

 

Le dimanche 28 février dernier les helvètes étaient appelé aux urnes comme très fréquemment, environ tous les trois mois, dans ce système politique « semi-directe » pour se prononcer pour ou contre une nouvelle mesure législative : « l’expulsion automatique des criminels étrangers ».

 

Cette mesure législative n’est pas si nouvelle puisqu’il s’agissait de la mise en application directe d’une mesure qui avait été voté à 52,9 % des voix favorables par le peuple en novembre 2010. Cette mesure était la suivante : « le renvoi effectif des étrangers criminels ». http://www.lemonde.fr/europe/article/2016/02/29/les-suisses-ont-rejete-l-expulsion-automatique-des-criminels-etrangers_4873489_3214.html

 

Le ton en six ans s’est donc durci pour l’Union Démocratique du Centre (UDC).

D’un renvoi effectif des criminels étrangers en 2010, l’UDC en est venu à proposer en 2016 : l’expulsion automatique des criminels étrangers.

 

Sur quels actes l’UDC entendaient condamner ces présumés « criminels » à un renvoi automatique ? Ils entendaient les renvoyer du pays sur la base d’infractions mineures comme des lésions corporelles simples ou le seul fait d’avoir participé à une rixe.

 

Un « petit » parti très populaire

 

Depuis la fin des années 1990 l’UDC ne connaît que des victoires et des pics sans précédent de popularité. Des éléments qui sont venus déséquilibrer le système de concordance, la fameuse « formule magique » de « la plus vieille démocratie du monde ». https://www.youtube.com/watch?v=nROeE2gI97c

 

Les trois grands partis bourgeois (Parti Radical Démocratique, Parti Démocrate Chrétien et Parti Socialiste Suisse) se partageaient le pouvoir depuis la mise en place du système proportionnel en 1919 et cumulaient à eux trois 80% de votes favorables. http://www.persee.fr/doc/rfsp_0035-2950_1956_num_6_4_402722

 

Néanmoins, les années 1990 ont marqué un tournant pour cet équilibre bien installé. Ce sont des scandales à répétition qui impliquaient le gouvernement, notamment celui de SwissAir, qui ont commencé à mettre le « feu aux poudres » du système politique suisse. Il s’en est suivi une crise des banques suisses, une crise identitaire et un afflux important de migrants venus du Kosovo qui fuyaient la guerre – 53.000 réfugiés – sont venus s’installer sur le territoire suisse. Un bon nombre d’éléments qui sont venus porter un coup à la popularité des grands partis qui gouvernaient le pays de façon stable depuis près de 80 ans.

L’UDC a pu tirer profit de ce désavantage et devient après les élections fédérales de 1999 le premier parti suisse en nombre de suffrages. Il fait sa grande entrée à l’Assemblée fédérale du pays. D’après des éléments collectés dans l’ouvrage très renseigné d’Oscar Mazzoleni, Nationalisme et populisme en Suisse : la radicalisation de la « nouvelle » UDC, PPUR, 2008.

 

Depuis cette entrée fracassante aux plus hautes sphères de l’Etat le petit parti de l’UDC n’a cessé de se présenter comme le véritable porte-parole du peuple. Le leader charismatique du parti Christoph Blocher présente son parti comme le seul défenseur du peuple. Ce peuple qui est la « véritable élite » face à la « clique bourgeoise » représentée par les trois grands partis du Conseil fédéral et l’Assemblée fédérale.

 

Un désaveu populaire inhabituel 

 

Comment expliquer ce revirement de situation ?

En effet, celui que l’on considère comme « le parti du peuple suisse » ou encore comme le « premier » parti du pays a connu ce 28 février dernier ce que des journaux suisses et français ont qualifié de « claque cinglante ».

http://www.tdg.ch/suisse/La-presse-suisse-releve-l-echec-sec-de-lUDC/story/11562745

 

Le désaveu du peuple pour cette mesure proposée par le parti est assez inhabituel. C’est ce que constate le politologue Pascal Sciarini.

 

La position radicale du parti sur le thème de l’immigration est pourtant ce qui a fait son succès ces dernières années. L’UDC est connu pour ces campagnes agressives http://rue89.nouvelobs.com/2007/09/24/en-suisse-ludc-affiche-son-racisme-sans-complexe-3065 et toujours réussies contre l’immigration qu’il qualifie de « massive » en Suisse.

Avec la crise des migrants en Europe et les difficultés qui se profilent à ses portes : à la frontière entre la Grèce et la Macédoine, au point de passage entre la France et le Royaume-Uni que représente Calais mais également après les débordements qui ont eu lieu en janvier dernier à Cologne en Allemagne. Il était prévu trois mois plus tôt par tous les sondages que l’UDC http://www.24heures.ch/suisse/politique/L-initiative-de-mise-en-uvre-part-avec-une-legere-avance/story/17834585 remporte l’application d’une telle mesure et qu’il soit soutenu, une fois de plus, par le peuple.

 

Pourtant, la défaite a été sans appel pour le parti. Les helvètes ont voté à 59% contre l’expulsion systématique des étrangers avec un taux de participation record de 63% de la population, un niveau beaucoup plus élevé que la moyenne en Suisse qui s’élève en général à un peu plus de 40%.

 

Quelques pistes de réflexions peuvent être engagées pour expliquer cette défaite.

 

1- Le gouvernement, le Parlement et tous les autres partis nationaux étaient farouchement opposés à ce renvoi systématique.

 

2- L’expulsion automatique des étrangers « criminels » devait se faire sur la base de fautes que l’on peut juger sans grande gravité. Des fautes mineures ne peuvent constituer un motif suffisant pour une expulsion selon droit international. C’est la raison pour laquelle le gouvernement et le Parlement avaient considéré la proposition de l’UDC contraire aux règles fondamentales de la démocratie.

https://www.letemps.ch/suisse/2016/02/29/criminels-etrangers-peuple-plebiscite-droit

 

3- La formulation de la question posée et soumise aux électeurs sous forme de référendum était la suivante : « Pour ou contre : l’expulsion automatique de tout étranger, non titulaire du passeport national, condamné au cours des dix dernières années, même pour des infractions mineures comme les lésions corporelles simples ou avoir participé à une rixe ». Le parti est allé beaucoup trop loin ce qui peut expliquer le « stop » net des helvètes face à un tel extrémisme.

 

Un tournant pour la dynamique politique de l’UDC ?

 

Est-ce un tournant pour le parti qui va peut-être devoir revoir ses positions extrêmes pour continuer à être soutenu par le peuple ? Seul l’avenir nous le dira. Néanmoins, les dernières déclarations de Christoph Blocher après les résultats du vote de la mesure ont l’air d’aller dans le sens de la modération. Il a appelé récemment à restreindre les initiatives populaires. http://www.swissinfo.ch/democratiedirecte/l-udc-face-à-la-défaite_christoph-blocher-prescrit-l-austérité-sur-les-initiatives-populaires/41993654

 

La crise de la démocratie en Europe et la montée des populismes peuvent nous amener à penser que les peuples européens aspirent à un plus grand conservatisme et à une plus grande intolérance face à l’immigration. En fait, c’est surtout le système démocratique qui est remis en cause par les peuples européens plus que la réelle croyance en un ennemi commun qui serait responsable de tous les maux de l’Europe : l’étranger. L’exemple de la Suisse en est une preuve, le peuple a dans cette démocratie semi-directe une grande marge de manœuvre. Pourtant il n’a pas exprimé la volonté de condamner l’« ennemi commun ».

Au contraire, il s’est montré lucide face aux tentatives de manipulation du parti d’extrême droite qui prétend avoir isolé la source des problèmes que connaît la Suisse aujourd’hui.

http://www.24heures.ch/suisse/politique/Le-coup-porte-a-l-UDC-apporte-une-bouffee-despoir/story/20263707

 

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