L’Irlande, un nouvel Etat européen ingouvernable après les dernières législatives?

Après l’Espagne, le Portugal, et d’autres pays européens, c’est au tour de l’Irlande de faire face à la difficulté de former une coalition pour gouverner. Les élections législatives du 26 février 2016 ont en effet sanctionné le gouvernement sortant, composé du Fine Gael et du Labour, sans donner de majorité à un autre parti.

Entre bilan économique positif et austérité douloureuse

Les élections Irlandaises constituent un objet d’étude intéressant car elles suivent celles de 2011 qui avaient porté le Fine Gael au pouvoir en sanctionnant la mauvais gestion de la crise financière et économique de la fin des années 2000 par le parti du gouvernement de l’époque, le Fianna Fail. Depuis 2011, le gouvernement a appliqué une politique d’austérité, ce qui correspond à la politique prônée par l’Union Européenne. Et, que ce soit grâce à cette politique d’austérité ou grâce à d’autres facteurs, les Irlandais constatent depuis deux ans une réelle reprise de l’économie de leur pays, avec pas moins de 7% de croissance pour l’année 2015, et un chômage à 8,5% contre 15% en 2012. On aurait donc pu penser que les partis de la coalition seraient reconduits par les Irlandais pour leur bilan économique solide, et c’était sans doute aussi le calcul du Premier Ministre Enda Kenny, qui a demandé le 3 février au Président de dissoudre la chambre basse, le Dail Ereann.

Mais il faut aussi prendre en compte le ras-le-bol populaire face à l’austérité, comme dans de nombreux pays européens comme en Espagne ou en Grèce, où des partis de gauche radicale (respectivement Podemos et Syriza) ont obtenus un nombre important de voix. En effet, une part non-négligeable de la population n’a pas profité de la reprise économique, comme les 16% de travailleurs vivant sous le seuil de pauvreté, ou les fonctionnaires dont le salaire n’a toujours pas regagné son niveau d’avant la crise. Cette exaspération sociale face à l’austérité, symbolisée par la forte opposition qu’a rencontrée en 2014 la mesure rendant l’eau courante payante, profite au parti anti-austérité nationaliste de gauche radicale qu’est le Sinn Féin, anciennement bras politique de l’IRA (Irish Republican Army), qui promet d’abolir la taxe sur l’eau et un meilleur partage de la croissance.

Contrairement à des pays comme le Grèce cependant, l’austérité a en Irlande donné lieu nous l’avons vu à une reprise économique, et une victoire du Sinn Féin aussi éclatante que celle de Syriza n’est donc pas d’actualité.

La fragmentation du nouveau Parlement

Ces différents éléments peuvent permettre de comprendre les résultats des élections : le Fine Gael perd beaucoup de voix mais reste le premier parti du pays (26% des voix contre 36% en 2011). Son allié le Labour, qui a cautionné l’austérité, est très durement sanctionné pour ne pas avoir assez pesé dans le gouvernement pour moins d’austérité (il passe de 19% à moins de 7%), comme l’ont été de nombreux partis socio-démocrates européens dans la même situation. Le parti du Sinn Féin de moins de 10% en 2011 à près de 14%, sa meilleure performance, et devient le troisième parti du pays, mais n’obtient pas la marée de voix espérée. C’est le nombre de députés indépendants et de petits partis qui a le plus augmenté, représentant aujourd’hui un quart des sièges. Enfin, le Fianna Fail, puni en 2011 pour sa mauvaise gestion de la crise, redevient un des deux plus grands partis, avec plus de 24% des voix.

On a donc assisté à une forte dispersion des voix, comme en Espagne et a Portugal, qui a sans doute été facilitée par la règle électorale irlandaise du « vote unique transférable », partagée avec Malte et l’Australie, qui est un mode de scrutin proportionnel à l’échelle d’une circonscription où les voix supplémentaires d’un candidat élu sont transférées dans le choix n°2 de ses électeurs.

Malgré tout, jusqu’en 2007, cette règle électorale aboutissait à la reconnaissance de deux grands partis, récoltant entre 30 et 50% des voix, le Fianna Fail et le Fine Gael. On voit donc que la crise et l’austérité produisent un effet de morcellement de l’électorat, et que la croissance brandie par le dernier gouvernement n’a pas suffi à lui assurer la majorité, sans doute à cause de rejet de sa politique d’austérité.

Quel gouvernement maintenant ?

Plusieurs possibilités sont présentées par des élus, plusieurs scénarios sont envisageables.

Le premier est la formation d’une coalition dans la lignée de la précédente, c’est-à-dire basée sur une alliance ente le Fine Gael et le Labour, qui aurait besoin d’être enrichie par l’intégration de députés indépendants et issus de petits partis.

Le second scénario serait celui d’une alliance entre les deux « grands » partis de centre-droit, le Fianna Fail et le Fine Gael, les deux frères ennemis qui se combattent depuis l’indépendance de l’Irlande – le Fianna Fail était opposé au compromis concédant l’Irlande du Nord à l’Angleterre en 1921, alors que le Fine Gael y était favorable –, et ce alors que les dirigeants des deux partis ont annoncé il y a peu ne pas considérer cette coalition. De plus, les dirigeants des deux partis érigeraient alors le Sinn Féin en premier parti d’opposition, ce qu’ils rechignent à faire.

Si le Fine Gael est incapable de réunir une coalition avec le Labour et les indépendants lui assurant la majorité à la chambre et que le Fianna Fail refuse de former une grande coalition, on pourrait imaginer, assure un ancien premier ministre du Fianna Fail, Bertie Ahern, un gouvernement minoritaire du Finn Gael, qui devrait à chaque loi chercher une majorité, avec le Fianna Fail notamment, mais qui serait donc très instable.

Enfin, si le Fine Gael refuse cette option, il pourrait devoir demander une nouvelle dissolution de la chambre basse. Le dirigeant du Sinn Féin Gerry Adams assume ainsi maintenir dans son parti l’état de campagne.

 

L’avenir nous dira donc si cette élection va déboucher sur une simple recomposition du paysage politique irlandais ou si elle constitue le début d’une réelle crise du système politique irlandais, où la gouvernabilité du pays serait mise à mal.

P. Bonnefoy

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