Alors que le 10 février dernier, les députés français se sont prononcés sur la question de la déchéance de nationalité à l’Assemblée nationale, la Suède, le même jour, sur la même question a fait le choix opposé. Les députés du Riksdag se sont prononcés défavorables à un amendement similaire porté par les Démocrates de Suède (SD) dans une dynamique de discrédit envers un parti qui dérange. Ce projet, proposé par deux députés du parti, prévoyait de déchoir les citoyens suédois condamnés pour un délit ou un crime en lien avec le terrorisme, de leur nationalité, au risque même de les rendre apatrides. La commission suédoise des affaires de justice s’est prononcée sur la question peu avant le vote de la motion et a expliqué ne voir « aucune raison de restreindre la protection constitutionnelle de la nationalité suédoise ». Le Parlement cherche plutôt à trouver un moyen de restreindre les voyages liés au terrorisme. Ainsi les 45 députés du parti démocrate suédois ont voté pour cet amendement à un projet de loi anti-terroriste du gouvernement de gauche, seuls contre 236.
Cette marginalisation du SD (Sverigedemokraterna) sur l’échiquier politique n’est pas foncièrement nouvelle dans la vie politique Suédoise. Depuis sa création dans les années 1980, il est profondément marginal et mis de côté par les partis du bord opposé et par ceux du même bord politique. Originellement, ce parti à la droite des conservateurs laisse sceptique ses concurrents à cause de ses racines dans l’extrême droite et les mouvements néonazis. Bien que le SD se soit détaché de ces racines par différentes purges en son sein, il est toujours perçu comme radical et il est généralement exclu dans un système parlementariste où le rassemblement de partis en alliance et en coalition est nécessaire pour accéder à l’exécutif depuis une dizaine d’années. On a d’ailleurs vu lors des élections de 2010, les deux blocs promettre à leurs électeurs de ne pas collaborer et de ne pas gouverner grâce à l’aide du SD. Depuis le début des années 2000, le parti a grandi jusqu’à l’obtention de près de 13% des voix aux élections du Riksdag en 2014. Progression fulgurante puisque lorsque le SD entre pour la première fois au Riksdag en 1998 il n’obtient que 0,4% des votes tandis qu’aux dernières législatives il a obtenu 12,9% des votes[1]. Le plus intéressant est de voir comment ce parti récupère des électeurs des deux bords, mais obtient aussi des votes des abstentionnistes. C’est en ce point précisément qu’il est dangereux pour les autres partis d’autant plus dans ce contexte où la question migratoire fait polémique en Suède, et sur laquelle le SD semble démontrer une réactivité forte, notamment à travers ce projet d’amendement.
Il est néanmoins un acteur que les partis traditionnels doivent désormais prendre en compte. En effet depuis quelques années, le parti s’est illustré comme une sorte d’arbitre[2] dans la vie politique suédoise. Ce rôle, il l’a mis en pratique en 2014 lors du vote de la proposition du budget du nouveau gouvernement Löfven. En pratique, chaque parti vote pour sa proposition budgétaire pour le gouvernement. Généralement, le parti minoritaire au gouvernement obtient son budget. Les démocrates suédois ont fait figure de force en votant dans un premier temps pour leur proposition puis pour celle de l’opposition ayant pour conséquence que le gouvernement Löfven n’est pas parvenu à faire accepter son budget. Le premier ministre social-démocrate à la tête d’un gouvernement de coalition avec les verts a immédiatement décidé en réaction de convoquer des élections anticipées pour le début de l’année suivante, mesure drastique non utilisée depuis 1959[3] pour répondre à ce « séisme politique ». Afin d’éviter ces élections, on a vu le gouvernement et l’Alliance (composée du parti du centre, du parti libéral, des démocrates chrétiens et du parti conservateur) s’adapter et convenir d’un nouvel usage pour l’adoption d’un budget. Le but premier de ce consensus, semble-t-il, est de neutraliser ce rôle d’arbitre[4] des démocrates suédois. Ainsi, il faut voir le rejet de la motion sur la déchéance de nationalité comme étant inscrit dans cette dynamique de rejet d’un parti qui vient mettre un frein au fonctionnement traditionnel du système de coalition.
Les démocrates suédois sont très conservateurs, mais dépassent la notion de clivage gauche/droite si l’on regarde leur électorat et le fonctionnement de ce système de parti. La Suède s’est longtemps organisée selon le modèle scandinave parlementaire avec cinq partis (Parti de gauche, Sociaux démocrates, Parti du centre, Parti libéral et Conservateurs). Depuis les années 1980, quatre partis ont rejoint le système : Les Verts, La Nouvelle Démocratie, les Démocrates Suédois et les Démocrates-chrétiens. A l’exception du SD, ces nouveaux partis se sont insérés dans cette dynamique dominée par la dimension gauche/droite. Les verts ont rejoint le bloc de gauche et les démocrates chrétiens font désormais parti du bloc de droite. Cette ligne de fracture bipolarise le système politique suédois des partis. Le SD, nous l’avons vu, ne s’insère pas dans cette dynamique, mouton noir rejeté de tous côtés de l’échiquier politique. Le rejet de la motion en est un exemple frappant d’autant plus que le projet d’extrême droite était assez bien perçu par la population dans une certaine proportion. Par ailleurs, cela met en lumière un réel problème au niveau du système de parti qui ne parvient à faire émerger de majorité forte, et on voit assez rarement (le dernier exemple en date remonte à 2006[5]) un gouvernement soutenu par une majorité au Riksdag. Les partis doivent recourir à des alliances pour assurer leur pérennité.
L’enjeu pour le futur du système suédois est clair : Comment la politique des blocs est-elle appelée à évoluer ? La dimension binaire stable constituée de deux blocs a pris fin et on voit l’émergence d’un troisième bloc marginal, les démocrates suédois. Auparavant, l’absence de majorité au sein d’un bloc n’était pas un problème dans le système binaire au sein d’une culture du consensus, et de règles facilitant la création d’un gouvernement majoritaire. Les démocrates suédois et leur capacité à refuser les budgets à l’avenir ont la capacité de créer un blocage, jusqu’alors évité grâce à un accord informel entre les partis traditionnels. Les démocrates suédois ont amorcé un changement profond qui questionne le système bipolaire traditionnel et il faudra voir si les partis retrouveront la tradition face à un blocage ou si un blocage inclura le SD dans le système d’alliance.
Par François Grenet
1095 mots
[1] Emiliano Grossman, Nicolas Sauger, Introduction aux systèmes politiques nationaux de l’UE, “La Suède” De Boeck, 2007.
[2] Nathalie Brack, Jean-Michel de Waele, Jean-Benoît Pilet (dir.), Les démocraties européennes, “La Suède” Armand Colin, 2015
[3] Idem
[4] Ibid
[5] Ibid