Slovaquie : Robert Fico, jamais deux sans trois … mais sans majorité

Mise en contexte : Le 5 Mars 2016, 4,4 millions de Slovaques sont appelés à voté afin de renouveler le Conseil national de la République (Narodna rada Slovenskej republiky). La seule chambre du Parlement, doté de 150 membres, est convoitée par 23 partis au total. Ces élections législatives déterminent la couleur politique de la chambre mais également la sensibilité politique du gouvernement.

  • Les urnes ont parlé

Chaque électeur exprime quatre votes préférentiels pour les candidats d’une même liste. La répartition des sièges se fait selon le système Hagenbach-Bischoff (scrutin proportionnel plurinominal)[1]

Le parti du Premier ministre slovaque sortant, Robert Fico, a remporté 28,3% des voix aux élections législatives. Le Smer-SD, formation populiste de gauche affiliée au Parti socialiste européen, a 49 députés contre 83 dans le Parlement précédent. Victoire donc mais victoire imparfaite.

 

Les démocrates-socialiste devancent les libéraux SaS (tendance au libertarisme étatsunien) ont 21 sièges. Suivie des conservateurs d’OLANO-NOVA avec 19 sièges. Les nationalistes du SNS, partenaires de coalition de Robert Fico entre 2006 et 2010, obtiennent 15 sièges. L’extrême droite nationaliste, admirateur public du nazisme, LS-Nase Slovensko (Notre Slovaquie) de Marian Kotleba entre pour la première fois au Parlement avec 14 sièges soit 8,5%.

 

Mais la droite pro-européenne connait un douloureux échec. Le représentant des Magyars de Slovaquie, Most-HID (PPE) conserve 6,4 % des voix. Quand aux Chrétiens-démocrates du KDH (2nd en 2012), ont obtenu moins des 5 % des voix nécessaires à l’entrée au parlement. Il ne reste plus que le parti centre-droit Siet’, membre de l’ALDE n’a obtenu que 6 % des voix, ce quoi moins de la moitié prévu par les différents sondages.[2]

 

 

  • La difficile formation du gouvernement

 

Pour que Robert Fico puisse gouverner en toute sérénité il aurait fallu un score minimum de 33% pour le parti démocrate-socialiste. Mais cela n’a pas été le cas

Pour certains analystes slovaques, le schéma des élections législatives de 2010 pourrait se reproduire. Il a remporté les élections législatives sans parvenir ensuite à former une coalition et s’était retrouvé dans l’opposition[3]. Le chef du gouvernement s’est déjà exprimer et a indiqué que la situation serait encore plus compliqué qu’en 2010 : les discussions vont s’allonger dans le temps. Il ajoute que « Nous excluons de nouvelles expériences. Aussi, nous commençons aujourd’hui de premières négociations préliminaires. Elles montreront s’il existe des partenaires pour créer un gouvernement raisonnable »[4].Mais l’analyste politique Samuel Abraham, l’élaboration du nouveau gouvernement pourrait prendre “des semaines et même des mois[5] . Cela en raison d’un paysage politique qui connait des fortes divisions à différents niveaux : les sociaux –démocrates eux –mêmes connaissent des distorsions évidentes et la droite slovaque n’envisage pas de compromis et surtout pas pour le parti « Notre Slovaquie » qualifié de néonazi par Samuel Abraham.

Au regard de l’Espagne, les négociations pour la naissance d’un gouvernement durable se révèlent donc difficile. Robert Fico va devoir s’allier à plusieurs partis pour diriger le pays, qui doit prendre la présidence de l’Union européenne en juillet. A l’heure où déjà des manifestants prennent d’assaut les rues pour contester l’entrée des partis d’extrême droite au gouvernement, Robert Fico devra faire vite et surtout faire les bons choix politiques pour ne pas laisser la Slovaquie dans une instabilité gouvernementale.

 

  • Campagne sous décor de crise des migrants et montée des extrêmes

 

Une large partie du débat de ces élections s’est orienté sur la question des migrants. Le Premier ministre sortant Robert Fico s’est très tôt opposé à l’engagement pris par Bruxelles de relocaliser 160 000 réfugiés. Il conteste l’idée que son pays accueille une partie des réfugiés et exige un contrôle au frontière consenties par 89% de la population. Selon lui « si l’on accepte les refugies, on se retrouvera ensuite avec un demi fou qui atteint 30% de suffrages comme à Banska Bystrica »[6], faisant référence à son président de région extrêmiste Marian Kotleba, élu en novembre 2013. Une plainte a été déposé contre la décision de resituer les réfugiés, par le chef du gouvernement en Cour de Justice de l’Union Européenne.

La menace terroriste que représentent les réfugiés est aussi au cœur du débat. Il a d’ailleurs décidé de faire surveiller les 1% de musulmans présents en Slovaquie. Afin d’utiliser la matière au maximum, le parti a renouvellé son slogan : « Protéger les Slovaques ». Il excelle d’ailleurs à tout faire pour que la question de l’immigration et les débats autours restent un enjeu central. Pour le sociologue Martin Slosiarik[7], « sur ce sujet, le Premier ministre apparaît comme le plus compétent »[8]. Mais ce discours n’a pas empêcher la montée des extrêmes et l’a même a bien des égards encouragés.

 

 

  • Les inquiétudes de Bruxelles face à l’exemple slovaque

 

Bruxelles émet effectivement des inquiétudes. En effet, la Slovaquie se voit prendre la tête de l’Union Européenne en juillet. Or, les cinq des huit partis présent au parlement sont eurosceptiques. Le plus extrême « Notre Slovaquie » met au programme de quitter l’OTAN mais également de mettre en place un référendum pour quitter l’Union Européenne. Si nous prenons du recul sur la situation slovaque : la montée des extrêmes n’est pas un phénomène nouveau, mais elle illustre plusieurs enjeux au sein de la République Slovaque mais également au sein même des relations entre les pays de l’Est et la construction européenne.

 

Premièrement, parce que les Européens n’ont pas fait attention au tournant nationaliste / anti-migrants que prend la Slovaquie. Le Premier ministre slovaque a pu fortifier son argumentaire sur des faits récents comme le refus partagé par les autres pays d’Europe centrale de respecter les quotas, mais aussi la décision de l’Autriche de limiter les entrées. En conséquence ce qui en ressort c’est l’idée d’une Angela Merkel isolée et d’une ligne-est « de refus »[9]. D’autant que certains pays d’Europe occidentale, notamment la France, ne sont pas précipité d’accepter des réfugiés. Un retour de « Visegrad » comme pourrait en appeler les souvenirs du communisme, n’est pas à écarter. L’hostilité des pays de l’Est à l’intégration européenne est de plus en plus prégnante, ce qui va bien au delà de simple élections slovaques.

 

Au delà de ça, le socialisme européen ne s’est pas coordonné avec le Premier Ministre. Malgré une alliance du SNS avec le Smer, malgré un courant de plus en plus nationaliste, le PSE[10] n’a en aucun cas rappeler le parti de Robert Fico. Ce dernier s’est satisfait d’une simple affirmation de son « engagement avec les valeurs du PSE. » Cette mauvaise coordination à d’une part laisser Robert Fico sur les vagues anti-migrants et d’autres part alimenter les autres discours à ce sujet.

 

Le bilan de ces élections est en demi-teinte : effectivement Robert Fico est reconduit une troisième fois mais à l’heure actuelle n’est pas gouvernable avec de telles tensions autour de la crise des migrants. Et les enjeux sont à la fois slovaques et européens.

Par Belhoula Sana

 

[1] N. Brack, J-M. DE WAELE, J-B. PILET, Les démocraties européennes Institutions, élections et partis politiques, Armand Collin, 2010. p. 362.

[2] Chiffre apporté par l’Observatoire des Elections en Europe Fondation Robert Schumann le 5 Mars 2016

[3] Fondation Robert Schuman, Corinne Deloy, « Le parti du Premier ministre sortant Robert Fico favori des élections législatives du 5 mars en Slovaquie », 3 Mars 2016.

 

[4] Le Monde, le 6 mars 2016.

[5] Reporté par AFP le 6 Mars 2016

[6] L’express le 10 mars 2016, Perée Néonazi alimenté par la peur des migrants.

[7] Directeur de l’institut d’opinion Focus

[8] La Tribune le 7 Mars 2016, Comment Bruxelles a favorisé l’euroscepticisme ?

 

[9] Le Premier ministre slovaque sortant Robert Fico à Bratislava, le 6 mars 2016 afp.com/SAMUEL KUBAN http://www.afp.com/fr/info/

[10] Parti Socialiste Européen

Leave a comment