L’Espagne à la recherche d’un gouvernement

Plus d’un mois après les élections législatives du 20 décembre 2015, l’Espagne n’a toujours pas de gouvernement. Ce véritable blocage politique se niche au cœur des préoccupations des espagnols, partageant la place avec un taux de chômage inquiétant et des scandales politiques à n’en plus finir.

L’issue des élections législatives a en effet chamboulé le paysage politique du pays, le plongeant dans une forte instabilité. Le 20 décembre 2015, 46 millions d’espagnols se sont dirigés vers les urnes pour élire les députés du parlement. Avec 28,7 des voix, le Parti Populaire, mené par Marano Rajoy, a remporté les élections et obtenu 123 sièges au parlement. C’est le PSOE qui obtient la deuxième place avec 22% des suffrages et 90 sièges. Ces scores sont catastrophiques pour les grands partis traditionnels espagnols, talonnés par deux nouveaux partis : Podemos (20,7% des voix et 69 sièges) et Ciudadanos (13,9% des voix et 40 sièges).

C’est bien la première fois depuis que l’Espagne est devenue une monarchie constitutionnelle après les quarante ans de dictature franquiste, qu’aucun des deux grands partis n’a obtenu la majorité absolue auprès des urnes. Loin de 176 sièges nécessaires à l’obtention d’une majorité, ceux-ci doivent désormais composer avec plusieurs partis et former des alliances qui s’annoncent compliquées. Peut-être même irréalisables. Mais comment en est-on arrivé là ? Cette situation ne serait-elle pas l’aboutissement d’une crise plus ancienne ?

Le bipartisme, une vieille habitude en Espagne

Malgré un système électoral espagnol donnant l’avantage aux grands partis, ce bouleversement politique n’a pas réellement surpris dans le pays.

Rappelons-le, le parlement espagnol, appelé le Cortes Generales, est bicaméral. Il est composé du Congrès des Députés (chambre basse) et du Sénat (chambre haute), dont les membres sont élus simultanément et pour la plus grande partie, au suffrage universel. Le Congrès des Députés compte 350 membres élus au suffrage universel direct (tous les 4 ans). Le mode de scrutin est proportionnel, et les 52 circonscriptions correspondent aux villes de Ceuta et Melilla, ainsi qu’aux cinquante provinces espagnoles. Le nombre de sièges attribués aux provinces est proportionnel à leur population, mais chaque circonscription est dotée d’au minimum deux sièges, ce qui est favorable aux petites provinces.

L’important nombre de circonscriptions et la méthode électorale utilisée donnent par ailleurs l’avantage aux grands partis espagnols, qui sont pratiquement assurés d’avoir un siège dans toutes les circonscriptions, alors que les partis moins « importants » ne peuvent compter que sur les grandes circonscriptions. Le système électoral en Espagne confère ainsi un certain avantage aux deux grands partis traditionnels : le PSOE et le Parti Populaire (PP). Aussi le bipartisme en Espagne semblait assuré par le système électoral.

Une crise économique et institutionnelle remettant en question le système politique espagnole

Mais alors comment expliquer que le bouleversement du paysage politique espagnol ne surprenne pas grand monde ? En réalité, le dysfonctionnement actuel du système politique est le fruit d’une crise multiple qui affaiblit les institutions depuis plusieurs années …

Cette crise est tout d’abord économique : durement frappée par la crise financière de 2008, l’économie espagnole reste toujours bancale en 2015. Malgré une croissance économique de 3,2%, le pays fait face à un taux de chômage très élevé (21,4% en 2015), ainsi qu’a une augmentation importante de la dette publique. La politique d’austérité menée par les différents gouvernements a accru le mécontentement de la population et a contribué à l’apparition du Mouvement des Indignés (ou Mouvement 15-M), dont sont issus Podemos et Ciudadanos.

Ensuite, à cette crise économique et financière, vient s’ajouter une véritable crise politique. Les grands partis sont constamment secoués par des scandales touchant à la corruption et impliquant des grands noms de la classe politique. La famille royale n’est pas non plus épargnée, comme en témoigne l’actuel procès de la princesse Cristina d’Espagne et de son mari Iñaki Urdangarin, accusés d’avoir détournés des fonds publics.

Aussi, les citoyens sont nombreux à parler de la nécessité d’une régénération politique. Les critiques fusent vis-à-vis du système politique mis en place durant la transition démocratique de l’Espagne après la dictature de Franco, mais aucune proposition de réforme de la Constitution de 1978 ne remporte l’unanimité. A ces problèmes s’ajoutent également celui institutionnel de la montée du séparatisme catalan.

Pour beaucoup, il est donc essentiel de renouveler un système politique défaillant et de rompre avec le bipartisme traditionnel. Cette volonté se traduit notamment par la popularité du parti de la gauche alternative Podemos et du parti du centre Ciudadanos, qui mettent en avant leur volonté de se défaire de la corruption politique.

Une Espagne ingouvernable ?

Les élections législatives de décembre répondent donc aux attentes de la population espagnole dans la mesure où elles rompent avec le bipartisme et l’alternance entre le PP et le PSOE. Néanmoins elles amènent leur propre lot de difficultés dans un paysage politique très fragmenté … Le problème de la gouvernabilité en Espagne semble n’avoir aucune solution à l’heure actuelle.

Mariano Rajoy à la tête du Parti Populaire, est le premier à en avoir fait les frais. Il a dû reconnaître sa défaite momentanée auprès du Roi Felipe VI le 22 janvier : il n’a pas réussi à rassembler les soutiens nécessaires à la formation d’un gouvernement stable.

Aussi, le 2 février, le roi Felipe VI a proposé à Pedro Sánchez, à la tête du PSOE, de tenter de former un gouvernement. Ce dernier a demandé un délai d’un mois au président du Congrès des députés, le socialiste Patxi Lopez. Mais les négociations s’annoncent également difficiles pour les socialistes, qui ne disposent que de 90 sièges au parlement (leur pire score depuis la fondation du PSOE) … Avec qui Sánchez pourrait-il gouverner ?

Malgré des pressions internes au sein du PSOE, Sánchez a réaffirmé sa volonté de ne pas s’allier avec le PP et Mariano Rajoy, ainsi qu’avec des partis nationalistes. Une alliance à droite s’annonce donc très compromise. Sanchez préfèrerait en réalité une coalition à gauche, englobant Podemos et Ciudadanos. Mais le leader de Podemos, Pablo Iglesias, refuse de former une coalition avec Ciudadanos. En effet ces deux partis divergent concernant un certain nombre de points importants. La question de l’indépendance en Catalogne notamment, est un obstacle à toute alliance entre les deux nouveaux partis: Podemos y est favorable alors que Ciudadanos s’y oppose catégoriquement. De plus, Pablo Iglesias refuse une quelconque entente sans le respect de certaines conditions, comme l’instauration d’un exécutif de coalition où il serait vice-président, et l’obtention de certains ministères.

D’un point de vue arithmétique, Sanchez aura donc du mal à trouver une majorité, et doit dans un même temps faire face aux divisions au sein de son propre parti. L’Espagne se dirige sans doute vers de nouvelles élections … mais celles-ci ne pourront pas avoir lieu ne avant le mois de juin selon la Constitution espagnole. L’Espagne pourra-t-elle tenir jusque-là sans gouvernement ?

Emma Pinon, 11 février 2016

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http://www.lemonde.fr/les-decodeurs/article/2016/01/24/espagne-pourquoi-personne-n-arrive-a-former-de-gouvernement_4852704_4355770.html

http://elections-en-europe.net/institutions/elections-en-espagne/

http://www.lepetitjournal.com/madrid/accueil/actualite-espagne/237394-politique-qui-pourra-sauver-l-espagne

http://www.lemonde.fr/europe/article/2016/02/03/en-espagne-les-socialistes-vont-essayer-de-former-un-gouvernement_4858287_3214.html

http://www.lesechos.fr/monde/europe/021670849992-les-socialistes-espagnols-cherchent-a-batir-une-coalition-1197496.php

http://www.cafebabel.fr/politique/article/lespagne-toujours-en-quete-dun-gouvernement-introuvable.html

 

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