Par Víctor Ruiz
Le Conseil européen examinera lors des réunions d’aujourd’hui (jeudi 18 février) et de demain un ensemble de décisions préparées par son président, Donald Tusk, avec l’aide de la Commission, pour chercher un nouvel accord avec le Royaume-Uni.
Tout cet enjeu a commencé en 2013, quand David Cameron a promis d’organiser un référendum sur le statut du pays dans l’UE. Cameron a cédé aux pressions du secteur le plus europhobe de son parti et a ainsi rouvert la boîte de Pandore. Il a exposé ses priorités et expliqué ce qu’il n’aimait pas à Bruxelles, sans parler d’immigration. Trois ans plus tard, l’immigration est devenue une question centrale dans le débat au Royaume-Uni. Et la raison de ce rôle crucial se trouve dans la politique intérieure. Le 25 mai 2014 un tremblement de terre a secoué la vie politique britannique. L’UKIP gagne la majorité des voix aux élections au Parlement européen, avec deux arguments simples: non à l’Europe et oui au contrôle de l’immigration. Deux mois plus tard, David Cameron commence à parler de l’effet appel que le système britannique de prestations sociales projette sur l’immigration. Lors des élections suivantes, la progression de l’UKIP semble inéluctable.
La question de l’immigration s’est peu à peu fait une place dans le débat public. Et la restriction d’aides aux travailleurs d’autres États membres a finalement été écrite dans le programme électoral avec lequel les conservateurs ont remporté la majorité absolue lors du scrutin du 7 mai.
Ainsi, un conflit politique interne au Royaume-Uni a fait un bond au centre de l’agenda européen, sous la forme d’un défi sans précédent pour les piliers de l’Union.
Les brouillons présentés par Tusk, encore à développer dans certains aspects, portent sur les quatre domaines où Cameron a exigé des réformes substantielles. Le moins controversé est celui qui concerne la compétitivité, où on envisage des mesures pour simplifier la lourde législation communautaire et faciliter ainsi l’activité économique, ce qui se fait depuis quelque temps et qui est plus ou moins accepté par tous les États membres. Les problèmes commencent quand il s’agit de la gouvernance économique de la zone euro. À Londres on veut être en mesure d’influer sur les décisions prises dans la zone euro qui puissent le toucher, et on n’a certainement pas l’intention de laisser ces décisions coûter une seule livre. Bien que le brouillon ne lui reconnaisse pas de droit de veto, il accepte certaines restrictions à la liberté de décision de la zone euro, partant du principe du “respect mutuel”, y compris l’exemption de toute charge financière pour les États membres qui ne participent pas.
Le contenu du brouillon est encore plus grave dans l’intitulé souveraineté. Il commence par porter un coup terrible à l’essence même de l’Union, contenue à l’art. 1 du Traité de l’UE, qui proclame “un processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe”. Le projet de Tusk déclare effrontément que cette formulation ne constitue pas un objectif d’intégration politique et que cela ne signifie pas que l’Union aura plus de pouvoirs à l’avenir, ni que les pouvoirs de l’Union ne peuvent pas se réduire à l’heure actuelle. Il établit également un mécanisme par lequel les parlements nationaux représentant 55% des voix des États membres pourraient paralyser une initiative législative communautaire dans des domaines de leur compétence, en invoquant le principe de subsidiarité. Ceci est une nette régression dans le processus d’intégration européenne qui n’est en aucune façon justifiée.
Enfin, en ce qui concerne la question la plus controversée de toutes (les restrictions sur les prestations sociales aux citoyens des autres États membres résidant au Royaume-Uni), la proposition du brouillon attaque sérieusement le principe de la liberté de circulation des personnes dans l’Union sans qu’elles souffrent de discrimination fondée sur la nationalité, puisqu’elle stipule que ce droit peut être soumis à des limitations ou être restreint pour des raisons d’intérêt public. Plus précisément, le Conseil permettra à un État membre de limiter l’entrée de citoyens de l’UE en cas d’urgence si l’arrivée de travailleurs provenant d’autres États membres a une ampleur exceptionnelle durant une longue période. Mais ce n’est pas fini. Dans une autre décision à prendre en même temps, il est convenu que la situation de la Grande-Bretagne répond effectivement à ce critère et le gouvernement peut donc lancer le mécanisme de restriction de droits. Ces exigences sont en plus lancées par un pays avec un 5% de chômage. Une vraie plaisanterie qui compromet l’une des quatre libertés sur lesquelles est fondée l’Union.
Les restrictions visent une question qui touche directement les droits sociaux des citoyens européens, en particulier les plus défavorisés. Comme toujours, à Londres on essaie de choisir les meilleurs plats du menu communautaire et de rejeter ce qui ne plait pas, même si tout est déjà souscrit, comme si les autres États n’avaient pas de contraintes parmi tous les engagements qu’ils respectent pour appartenir à l’Union. Est-ce que Cameron accepterait des restrictions à la liberté de mouvements de capitaux? Parce que cette liberté a produit pas mal de pertes pendant la crise dans certains États membres périphériques.
Le Conseil européen va se sentir forcé à approuver un ensemble de décisions qui représentent un pas en arrière dans le processus de construction européenne et qui violent les principes sur lesquels l’Union elle-même est fondée, juste parce qu’un État membre le souhaite. La question se pose alors: en échange de quoi? De rien, tout simplement rester dans l’Union. Pourquoi veut-on faire rester un État qui n’a pas accepté la libre circulation des personnes, ni l’euro, ni Schengen ou l’acquis communautaire en matière de liberté, de sécurité et de justice ou, ce qui qui est plus important, l’évolution vers une union politique, impérative et inévitable si l’union économique se complète, et qui fera tout son possible pour empêcher les autres de l’atteindre?
Si le Royaume Uni quittait l’UE, on perdrait un état important, le deuxième en population et en PIB et le premier en capacités militaires. Sa présence est incontestablement positive, mais pas à tout prix. Le Royaume-Uni, quant à lui, perdrait beaucoup plus en sortant de l’Union: cela aurait un impact imprévisible pour son commerce; la reprise économique serait paralysée, il y aurait une perte d’influence internationale, et ça pourrait même aboutir à une division interne avec l’hypothétique séparation de l’Ecosse.
L’UE ne peut pas céder constamment au chantage et encore moins lorsqu’il s’agit des principes fondamentaux de l’union. Il est peut-être temps de dire que la porte est ouverte.
http://www.theguardian.com/world/2016/feb/18/david-cameron-european-union-summit-brussels
http://www.theguardian.com/politics/2016/feb/17/prisoner-party-david-cameron-battle-tory-right