Après la Pologne et la Hongrie, la Croatie atteinte par la montée de la droite conservatrice

Par Axelle Traversat. Le vendredi 26 février 2016

 

Un « registre des traîtres à la Nation », un autre des « agresseurs de la République croate » et enfin celui des profiteurs des « privations illégales ». Voici le projet du ministre croate aux anciens Combattants, Mijo Crnoja, un projet qui lui aura valu sa démission six jours après sa prise de fonction le 25 janvier dernier. Si les personnalités du nouveau gouvernement de la droite conservatrice font débat au sein de la société croate, c’est son système politique reposant sur un scrutin trop proportionnel qui apparaît comme défiant le modèle démocratique européen.

Les élections législatives du 8 novembre dernier se sont conclues par une quasi égalité de la droite et de la gauche, permettant le retour de la droite nationaliste. Avec 59 sièges sur 151 la coalition patriotique, Domoljubna Koalicija, menée par l’Union démocratique croate (HDZ) arrive en tête des scrutins suivit de la coalition de la gauche, Hrvatska Raste, (La Croatie grandit), menée par le Parti social-démocrate (SPD) du Premier Ministre sortant, obtenant 56 sièges. Les dernières élections législatives de 2011 avaient placé la coalition de centre-gauche, menée par le SPD, en tête. Néanmoins, le retour de la droite conservatrice au pouvoir, presque sans interruption depuis l’indépendance de la Croatie, annonce une continuité du vote politique des Croates : le 11 janvier 2015, avec 50,74% de suffrages au second tour, Kolinda Grabar-Kitarovic du HDZ remportait les élections présidentielles, devant le chef d’Etat sortant, Ivo Josipovic (49,26%). Toutefois il existe bel et bien un malaise du système politique croate reflétant un certain détachement au modèle européen.

Un système politique croate fragile

Ces élections sont une première pour le dernier pays à être entré dans l’Union Européenne, le 1er juillet 2013. Les résultats peuvent être vus comme une première réponse à l’adhésion de la Croatie dans le système de l’Union Européenne. Pour faire campagne, les partis se sont appuyés avant tout sur la situation économique délicate que connaît le pays ainsi que sur la crise des migrants traversant les Balkans. Mais si les deux grandes formations politiques se sont engagées à améliorer la compétitivité et l’économie du pays, cela ne repose que sur d’imprécis et vagues moyens d’action. Les programmes restent flous, la résolution de la question des retraites, des entreprises nationales déficitaires, du système de santé, des assurances et des retraites ne semblent pas avoir alarmé les deux coalitions. Quant au HDZ, il s’appuie avant tout sur des valeurs nationalistes plus qu’européennes.

Mais le scrutin proportionnel croate n’a pas réussi à dégager de majorité parlementaire. Si le scrutin proportionnel produit théoriquement une meilleure représentation des votes, il ne permet pas d’alternance claire. Bien que la plupart des Croates n’aient pas voté lors de ces élections (40,9% d’abstention) ce sont de nombreuses tractations qui ont permis l’entrée en fonction le 22 janvier 2016 d’un gouvernement de coalition hétéroclite entre le HDZ et le Most, un parti d’élus locaux proche de l’Église catholique ayant remporté 19 sièges au Hrvatski Sabor, l’unique chambre du système politique croate. Ainsi quatorze personnalités du HDZ et six du Most se sont divisé les portefeuilles ministériels.

Une composition ministérielle faisant débat

La coalition de la droite nationaliste s’est accordée afin de nommer Premier Ministre Tihomir Oreskovic, un parfait inconnu de la scène politique croate. En effet Tihomir Oreskovic n’appartient de manière officielle à aucun des partis croates et de ce fait il n’a pas pris part aux campagnes législatives. Cet ancien de l’industrie pharmaceutique, parlant un croate imparfait car ayant majoritairement vécu au Canada, serait alors l’homme à la tête du gouvernement. Si ce choix témoigne de la fragilité de ce nouveau gouvernement, il faut noter que le pouvoir est en réalité entre les mains du Premier vice-premier ministre à savoir l’impopulaire et radical leader du HDZ : Tomislav Karamarko.

Mais la composition du gouvernement, avec des personnalités très contestées, divise la société croate. Outre un Premier Ministre ne parlant pas le croate, c’est la nomination au ministère de la culture de Zlatko Hasanbegovic qui est à l’origine de débats houleux. En effet, cet historien affiche une position affirmée révisionniste quant aux crimes perpétrés durant la Seconde Guerre Mondiale par les Nazis. Cette nomination a ravivé de douloureux souvenirs pour la population croate, concernant la guerre de 1939-1945 et celle de 1991-1995. Enfin, le gouvernement n’a pas échappé à un autre affaire, celui de fraudes présumées à l’impôt du ministre Mijo Crnoja, rappelant les scandales de corruption du HDZ de 2011. Les ministres intégristes, révisionnistes et de la droite extrême de cette coalition risqueraient de diviser la société croate. Ces choix politiques sont la preuve d’un système politique croate instable et inadapté nécessitant un prompt redressement.

L’Union Européenne est directement atteinte par ce résultat politique. Son modèle est remis en question comme en Pologne et en Hongrie où ont eu lieu des dérives autoritaires de la droite conservatrice. Comme de nombreux pays de l’Europe de l’Est, la Croatie voit en l’Union Européenne une association avant tout économique plus que politique. Avec sa nomination au poste de Premier Ministre, Tihomir Oreskovic, se place dans le prolongement de cette perspective. Il a déjà annoncé un programme économique libéral ambitieux : une croissance annuelle de 3%, une diminution de taux de chômage de 18% à 14% ainsi qu’une réduction de la dette publique à moins de 80% du PIB et un déficit budgétaire à moins de 3% du PIB. La coalition approuve ce style politique entrepreneurial, le Most ayant été créé à l’origine pour valoriser les entreprises et favoriser le secteur public.

Les débuts de ce gouvernement s’annoncent difficile : la coalition conservatrice de la droite ne dispose pas d’une majorité appuyée et a tenu seulement six jours avant la première démission ministérielle. La montée de la droite conservatrice en Croatie, comme en Pologne et en Hongrie, ne semble pas avoir alarmé les autres pays européens. Mais il n’en reste pas moins que de nombreuses questions se posent quant à la capacité de ce gouvernement, issu d’un système électoral instable et fragile, à diriger la politique croate.

 

 

 

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