Croatie – Un nouveau gouvernement ultranationaliste au pouvoir en Europe ?

Anastasia Steinlein

 

Anastacia

Le nouveau gouvernement de Tihomir Oreskovic (centre)

« Goebbels! Goebbels! » scande une centaine de personnes rassemblée devant le Parlement croate à l’arrivée du ministre de la culture, Zlatko Hasanbegovic. Le nouveau gouvernement de Tihomir Oreskovic fait scandale. « L’antifascisme n’est qu’une platitude », déclare le ministre de la culture ; le ministre des anciens combattants annonce quant à lui l’établissement d’un registre des « traîtres à la patrie ». La formation du nouveau gouvernement révèle les dysfonctionnements profonds de la jeune démocratie croate et préfigure l’éventualité d’un nouveau gouvernement ultranationaliste en Europe aux côtés de Budapest et de Varsovie.

Un gouvernement qui fait scandale

Les électeurs croates ont été appelé aux urnes le 8 novembre 2015, pour les premières élections législatives organisées en Croatie depuis l’entrée du pays dans l’Union européenne. Plus de 100 partis se sont présentés aux élections, issus du mouvement de floraison de nouveaux partis caractéristique des pays de l’Est après la chute de l’URSS. Alors que le pluralisme des partis est une des valeurs fondamentales assurée par les systèmes démocratiques, la multiplicité de l’offre affecte paradoxalement la démocratie croate de manière négative. Manque de lisibilité, absence de majorité nette, difficulté de former un gouvernement, lenteur des négociations : l’offre abondante entrave la gouvernabilité du pays. Ces dysfonctionnements sont accentués par le mode de scrutin croate très proportionnel, qui conduit à une surabondance de partis présents au Parlement.

 

La « coalition patriotique », coalition conservatrice organisée autour du parti HDZ, arrive en tête du scrutin avec 34%, mais ne pourra gouverner que 3 mois plus tard. Ce n’est que le 22 janvier, que le Sabor vote en confiance la coalition entre le parti HDZ et le nouveau parti centriste MOST, grand gagnant des négociations de coalition. N’ayant atteint que 13% des votes mais conscient de son rôle clé, ce groupement a pu s’assurer 6 ministères sur 20. Il n’a néanmoins pas obtenu le poste de Premier ministre revendiqué au départ des négociations.

A la surprise de tous, le poste de Premier ministre a été confié à un parfait inconnu, Tihomir Oreskovic, qui a longtemps vécu au Canada et en a presque oublié sa langue natale, le croate. Mais le véritable chef de la coalition est le vice-Premier ministre, Tomislav Karamarko, président du HDZ. Karamarko défend l’héritage du très autoritaire père de l’indépendance, Franco Tudjman. C’est de lui qu’émane le choix d’un gouvernement, dont l’appartenance de certains membres à des mouvements d’extrême droite inquiète. Tvrtko Jakovina, professeur à l’université de Zagreb, dénonce la nomination du ministre de la culture qui a fait tout particulièrement parler de soi : « Il a toujours dit que la Croatie n’a pas été libérée après la Seconde Guerre mondiale. Il est contre les références à l’antifascime dans la Constitution croate(…). Mettre un “anti-antifasciste” à cette position est très inquiétant. ».

D’après un récent sondage, 30% des Croates estime que le nouveau gouvernement d’Oreskovic n’est pas mieux que l’ancien gouvernement, 22% constate même une détérioration de ce dernier. Il y a 4 ans, le gouvernement du ministre HDZ Kosor ne suscitait la crainte d’une dégradation de la politique du gouvernement chez seulement 10% des Croates.

Les résultats de ce sondage traduisent la méfiance des Croates. Le coeur du problème se situe moins dans la forme du scrutin trop proportionnel que dans le fort taux d’abstention, reflet de cette méfiance. Peut-on parler d’une représentation du peuple au Parlement et au gouvernement quand le taux d’abstention s’élève à près de 40% ?

 

« Les électeurs ne veulent plus d’une élite politique »

« La percée de Most montre que les électeurs ne veulent plus d’un système de deux partis et d’élites politiques qui commencent à être une sorte de monde à part, loin du peuple » analyse Davor Gjenero, politologue croate. Ce ras-le-bol se reflète non seulement dans le vote des électeurs pour des partis alternatifs, mais aussi et surtout par l’absentéisme qui frappe de plein fouet la Croatie. Le taux de participation de 60.8% aux dernières élections législatives s’inscrit dans la continuation des autres scrutins : 50% aux présidentielles, 25% aux européennes.

Le problème de l’abstention frappe toutes les démocraties européennes, en particulier à l’Est, où la participation ne dépasse que rarement 60%. La « dépolitisation postcommuniste » peut s’expliquer par le faible ancrage de la culture politique dans les mœurs citoyennes des citoyens de cette jeune démocratie, n’oublions pas que les Croates ont acquis le droit de vote il y a seulement 25 ans.

Alors faut-il forcer les électeurs à aller aux urnes comme le fait la Belgique ? Ou dans le respect du principe de liberté, ne faudrait-il pas plutôt stimuler la politisation de la société civile par des mesures éducatives?

 

Les causes profondes de la dépolitisation semblent se situer ailleurs. La corruption du système politique fait régulièrement scandale en Croatie. Elle accentue la méfiance des Croates envers leur élite politique, et aggrave les problèmes de méfiance liés à la démocratie représentative. Comme le montrent certains politologues, la corruption est la principale entrave à la formation d’un Etat de droit, et mène à un non-aboutissement de la démocratie croate. La Croatie est une démocratie semi-consolidée.

Des cas récurrents ont ainsi terni la vie politique croate et accru la méfiance des électeurs. Les cas d’Ivo Sanader en 2009 et Milan Bandic en 2014 ont contribué sans aucun doute aux taux de participation électorale croate extrêmement faibles.

Peu après les dernières élections, la presse croate a révélé un nouveau scandale : Mijo Crnoja ministre des anciens combattants a fraudé le fisc. Pour éviter les impôts locaux, il est officiellement résidant de la petite commune de Samobor, dans une cabane sur un terrain vierge. Crnoja a alors été poussé à démissionner, alors qu’il venait de provoquer un vif débat en annonçant vouloir établir trois registres : celui des « traîtres à la patrie », celui des « agresseurs de la République de Croatie » et celui des profiteurs des « privatisations illégales ».

Les Croates sont-ils pour autant passifs ? Non. Ils s’emparent des nouveaux réseaux sociaux pour s’indigner de la situation gouvernementale actuelle. Près de 10 000 Croates se sont mobilisés avec humour en créant une plateforme pour s’autodénoncer avec des justifications tels que : «Je regarde les films serbes sans sous-titres» ou encore «à 35 ans, je ne suis toujours pas mariée ». D’autres recourent à la lettre ouverte au Premier ministre pour faire part de leur indignation.

Zagreb, nouveau Budapest?

Est-ce à dire que Zagreb suivra le cours de Budapest et de Varsovie ? Cette mise en parallèle est à manier avec une extrême précaution.

« Nous ne voulons pas que Karamarko décide de ce que nous pouvons dire en public. », scande une militante durant un des nombreux rassemblements qui ont suivi la nomination du nouveau gouvernement. « Ce gouvernement est le plus extrême que la Croatie ait connu depuis au moins 1990 ».

Même si le gouvernement suscite une vive indignation et que les dérives de certains membres font fureur, Nenad Zakosek, politologue à l’université de Zagreb, souligne qu’il faut nuancer la comparaison avec les gouvernements populaires en Hongrie et en Pologne. « Avec le HDZ, il y a un risque d’“orbanisation” de la Croatie », explique-t-il. « Mais le HDZ reste très pro-européen et très proche de Merkel. L’Allemagne est importante pour la Croatie, et le HDZ est beaucoup plus pro-américain qu’Orban. ». Le HDZ a gouverné la Croatie pendant 24 ans, et est donc profondément ancré dans le système, ce qui le distingue d’un parti antisystème. Le parti se dit pro-européen et le programme a pour principal objectif de sortir la Croatie de la profonde crise économique. Espérons qu’il s’en tiendra à cette trame pro-européenne.

L’indignation du peuple croate appelle néanmoins à ce qu’une véritable politique anti-corruption soit menée. Si les cas de corruption continuent à être révélés au grand jour de manière aussi régulière, la méfiance envers les élites ne fera qu’accroître, et pourra amener au pouvoir un véritable parti populiste et anti-européen.

 

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